Il ne faut pas confondre "les professeurs sont différents alors qu'ils font le même métier" et "les professeurs sont les mêmes mais ils font un métier différent"

mercredi 4 décembre 2013

Article paru dans le Figaro du mercredi 4 décembre 2013

                          Professeurs de tout le pays, unissons-nous !

Les professeurs de classes préparatoires ne naissent pas dans les roses ni les professeurs de ZEP dans les choux. La tactique classe contre classe, “pauvres” contre “nantis”, relève d’une représentation purement idéologique. Comme à l'armée, la fonction prime le grade, des agrégés enseignent couramment en 6ème, des certifiés en Terminale. Un agrégé enseigne parfois en ZEP avant de devenir professeur de classes préparatoires. Loin d’être opposés, les deux métiers sont liés l’un à l’autre. Les auteurs de cette tribune en fournissent une preuve en forme de clin d’œil, puisqu’ils seraient l’un « pauvre », l’autre « riche », mais qu’ils vivent par bonheur sous la communauté de biens, ce qui simplifie grandement la question.
En prétendant redistribuer 10 à 20% du traitement de certains professeurs de classes préparatoires à ceux de ZEP, le projet Peillon établit faussement un lien de cause à effet entre la situation financière de ces professeurs, réputée plus confortable, et celle, très dégradée, des professeurs de ZEP. Il s’agit en fait d’organiser, pour répondre dans la panique à la chute de la France dans le classement PISA, une « flexi-insécurité » des enseignants du supérieur sans donner le moindre gage d’amélioration réelle aux professeurs de collèges difficiles. Monsieur Peillon balaie toute objection d’un argument indépassable : « les gens qui choisissent ce métier ne le choisissent pas d’abord pour l’argent ». 
L’égalitarisme théorique qui préside à cette réforme est une impasse, la revalorisation qu'elle propose une humiliation pour tous. Ce décret organise l’impossibilité de l'attractivité verticale pour les professeurs, avec la complicité de syndicats d’enseignants qui, bloqués sur un égalitarisme d’un autre âge, sont incapables de défendre la profession qu’ils sont censés représenter.   

Or, si les professeurs sont mal considérés, c’est qu’ils sont mal payés. Le malaise des "profs", leitmotiv des médias, c'est leur feuille de traitement, cela va mieux en le disant. Les professeurs de ZEP ne demandent pas la charité. Ils sont las de la faiblesse de leurs salaires, de l’absence de formation continue de qualité, et surtout de l’étroitesse de leurs perspectives de carrière, mais ils ne sont en aucun cas des victimes et n’ont pas besoin de compassion. Il est faux de dire, comme on le fait à chaque fois que tombe le couperet de PISA, que la France  « délaisse » ses élèves les plus faibles. C’est bien plutôt les professeurs qui enseignent à ces élèves faibles (ZEP ou pas d’ailleurs) qui sont délaissés par un système d’enseignement en crise, alors qu’ils manifestent un dévouement qui tient du miracle.

Il est absolument essentiel de revaloriser les salaires et de rendre les concours attractifs par des perspectives de carrière valorisante. Il est urgent, crise des vocations et  catastrophe du classement PISA oblige, de remettre le professeur au centre des préoccupations, de lui offrir tout au long de sa vie professionnelle une formation continue de très haute qualité, de lui laisser de l’autonomie plutôt que de l’infantiliser en lui imposant un renouvellement incessant des programmes et des réformes vouées à l’échec. Il faut faire en sorte que les professions de l’enseignement attirent à nouveau les éléments les plus dynamiques en s’inscrivant dans une possible stratégie de carrière – on enseignerait dix ans, puis fort de ses compétences, on exercerait un autre métier, ou l’inverse – Le système des classes préparatoires, qui valorise ces compétences, doit donc servir d’exemple plutôt que de repoussoir.
Ce qui peut faire le lien entre les ZEP et les classes préparatoires, c’est l’innovation aux deux bouts de la chaîne. Au lieu de confondre excellence et élitisme, il faut poursuivre patiemment l’ouverture des classes préparatoires.  En effet, si le collège du V° ou celui des banlieues déshéritées restent tous deux des lieux d’homogénéité sociale, les classes préparatoires, qui accueillent des étudiants venus de tous horizons, sont précisément un bastion de la méritocratie républicaine. On ne résoudra ni l'absence de mixité sociale, ni  les problèmes de l’Université en abattant un système qui fonctionne, puisque oui, pour paraphraser Galilée à son procès en 1633, « e pur si muove ». Il est plus judicieux de réfléchir à ce qui pourrait rendre les collèges attractifs, par exemple sur le modèle des charter schools américaines, qui financées par des fonds publics, fédéraux et locaux, développent y compris dans les quartiers les plus démunis des programmes extrêmement innovants. C’est l’attractivité, que seule l’innovation poussée rend possible, qui créera une mixité volontaire et non imposée, car dans ce cas fatalement contournée.
Professeurs de tout le pays, unissons-nous ! Unissons-nous pour rompre avec le misérabilisme, pour faire fonctionner la belle machine du savoir. Pour faire que tous les écoliers, à l’image de ce que les plus âgés d’entre eux connaissent en classes préparatoires, conservent un souvenir marquant de ce que nous leur avons appris.

Anne-Sophie Letac, professeur en CPGE & Jean-François Immarigeon, professeur en ZEP

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